« La langue est un venin qui agit lentement ». Ces mots de mon ancien professeur de latin, Marcel Demuynck m’ont été involontairement rappelés lorsque j’ai regardé l’interview de Meghan et Harry, qui suscita un déferlement médiatique, concernant leur démission de « The Firm », comme ils ont systématiquement appelé la famille royale britannique. C’était une discussion confortable et décontractée depuis les magnifiques et apparemment confortables chaises de jardin sous la pergola d’Oprah. Mais chaque mot, même chaque non-dit, était soigneusement pesé, soupesé… et surtout bien visé.

Sans surprise, les tabloïdes du monde entier se régalent et ne sont pas prêts de s’arrêter, mais les spécialistes de la communication ont eux aussi à boire et à manger.

En plus de serrer des mains et d’élever des poules – nous y reviendrons plus tard, mais vous avez bien lu – le couple princier maîtrise également l’art du cadrage, aidé en cela par le sparring-partner le plus empathique du monde, la sympathique Oprah Winfrey.

Le framing ou cadrage est une technique de communication subtile mais puissante qui vous permet de transmettre un message complexe ou personnel à un public plus large en créant consciemment des associations avec l’univers familier de ce public. De cette façon, votre message semble reconnaissable, le public a l’impression que vous parlez sa langue, que vous êtes l’un des leurs et… il prend votre parti.

Un bon cadre a une architecture claire et est traditionnellement composé de quelques éléments définis. Nous en reconnaissons six. Votre histoire est positive car vous apportez une solution (1) à un problème (2). Vous rendez également l’histoire personnelle en utilisant des personnages facilement reconnaissables (3), plus précisément un héros, un méchant et une victime. Pour être attrayant, vous devez également fournir une base morale (4) qui inspire vos actions. Vous vous assurez que votre histoire tient la route en utilisant des mots et des métaphores (5) puissants et bien choisis. Enfin, surtout dans notre culture visuelle contemporaine, vous devez vous assurer que vos images (6) parlent d’elles-mêmes. On a déjà parlé de l’importance d’images et vidéo sur ce blog.

L’histoire du duc et de la duchesse de Sussex racontée au monde est un exemple type de cadrage maitrisé dans les moindres détails. Une brève analyse :

La solution

La décision surprenante et sans précédent de Harry et Meghan de démissionner volontairement de leurs rôles « royaux » il y a un an, a été positionnée comme une solution, plus encore comme le seul choix possible qui leur restait pour faire face au problème auquel le jeune couple était confronté. Le fait qu’ils puissent désormais se montrer visiblement heureux et détendus aux yeux du monde lors d’apparitions médiatiques (par ailleurs bien choisies) doit venir confirmer que cette solution était la bonne.

Le problème

Le problème auquel nos héros devaient échapper était double et clairement exprimé : le pouvoir étouffant de la famille royale britannique en tant qu’ « Institution » et le sensationnalisme impitoyable des tabloïdes britanniques. Harry et Meghan se gardent bien de présenter les membres de leur famille sous un mauvais jour. Ils parlent de la reine nonagénaire avec la bonhomie nécessaire. Les autres membres de la famille sont plutôt mis à l’écart, comme des personnages qui se sont résignés au système. Cela ne signifie pas qu’ils disent du mal d’eux, mais indirectement, ils soulignent leur propre courage dans la lutte contre le problème.

Les personnages

Toute bonne histoire a un héros, un méchant et une victime. Ceux-ci sont également abondamment présents ici. Dans ce cas, les protagonistes Harry et Meghan se sont imposés dans le rôle des héros qui ont fait le choix courageux, parce qu’il était tout sauf évident, de sortir du système à temps avant, à l’instar de la regrettée princesse Diana, d’en être eux-mêmes victimes.

La princesse Diana – décédée depuis 23 ans, mais toujours vivante dans l’esprit de beaucoup – continue de remplir son rôle de victime symbolique de cette « Institution » et des « tabloïdes ». Ainsi, de par leur acte héroïque, le couple princier évite également à Archie, leur premier enfant, qu’il subisse un jour ce même sort. Et les méchants ? Vous en conviendrez par vous-même.

La base morale

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est le choix de la base morale sur laquelle Harry et Meghan veulent ancrer leur histoire. La liberté était un choix évident. Aucune personne sensée ne peut ou ne veut refuser à un jeune couple le désir de se sentir libre. Mais la liberté seule ne saurait suffire comme fondement moral. Après tout, aux yeux de beaucoup, les têtes couronnées restent des privilégiés qui, en échange d’un peu de liberté, bénéficient de nombreux avantages.

Il a donc fallu faire un effort supplémentaire pour trouver une base morale. Et cela explique probablement pourquoi l’insinuation de racisme fut lâchée. Il s’agit incontestablement d’une limite morale qui ne peut être franchie par personne. Certainement pas par la famille royale. Le fait que le couple princier n’ait pas voulu en parler dans cette « interview sans tabou » n’a d’ailleurs pas d’importance. Une base morale inébranlable avait été posée.

Les mots et les métaphores

En gardant à l’esprit les mots de Demuynck du paragraphe d’introduction, l’entretien était également, du point de vue du choix des mots et des métaphores, un entretien qui restera marqué dans les livres…, en l’occurrence ceux de littérature spécialisée pour les experts en communication. En se référant constamment à la famille royale comme à « La Firme » ou « l’Institution » – des termes qui, soit dit en passant, sont également utilisés par les observateurs critiques de la monarchie depuis un certain temps déjà – Meghan a (surtout) réussi à renforcer le fossé émotionnel entre la jeune femme pleine de vie qu’elle est elle-même et la machinerie froide et sans cœur de la monarchie. Un facile 1 – 0 pour Meghan contre la monarchie.

La métaphore magistrale d’Ariel, la petite sirène du célèbre conte de fées de Disney, était tout simplement à tomber par terre. Meghan confia à Oprah qu’elle ressent une certaine proximité avec Ariel. Pour ceux qui ne connaissent (plus) l’histoire : la gracieuse sirène Ariel était éperdument amoureuse d’un beau prince dénommé Éric. La méchante sorcière des mers Ursula permit à Ariel de rendre visite à Éric sur la terre ferme. Cependant, pour remplacer sa queue de poisson par des jambes, elle dû renoncer à sa voix et donc à sa capacité à parler. Evidemment, le conte de fées se termine bien. Le prince Éric tua la sorcière des mers Ursula, Ariel retrouva sa voix et les deux amoureux se marièrent et vécurent heureux pour toujours. Toute ressemblance avec des personnages réels n’est, bien sûr, pas une coïncidence.

Les images

Enfin, pour ceux qui se demandent encore pourquoi Meghan, Harry et Oprah ont dû aller dans le poulailler pour continuer l’interview… c’est le cadrage, voyons ! Les poulets joyeusement élevés en liberté qui peuplaient le vaste parcours avaient été personnellement sauvés par Meghan d’un élevage en cage exiguë quelque part dans les environs. Toute ressemblance avec la cage dorée à laquelle elle et son mari ont échappé de justesse n’est évidemment … pas fortuite.

En résumé, si vous pensiez avoir été témoin d’une interview spontanée et franche au cours de laquelle deux jeunes gens nous ont laissé pénétrer dans les profondeurs de leur âme… alors vous croyez sans doute encore aux contes de fées. Mais rassurez-vous, il n’y a absolument rien de mal à cela !

 

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